Mois : avril 2025

La prison du confort

Je t’ai vu ce matin courir pour attraper ton métro.

On aurait dit une horloge humaine parfaitement réglée.

Tu crois mener ta vie, alors que c’est elle qui te mène.

Les habitudes que tu as façonnées, les sentiers que tu empruntes, les choix que tu fais…

J’y vois des schémas répétitifs.

Notre cerveau est programmé pour l’efficacité.

Il privilégie les voies rapides familières aux chemins de traverse.

C’est moins fatiguant et moins risqué.

La routine te donne l’illusion du contrôle.

Tout semble prévisible, ordonné et sans surprise.

Sauf que ce n’est pas vraiment vivre.

C’est survivre.

C’est exister dans un espace restreint, délimité par nos peurs et nos conditionnements.

Comme un poisson rouge qui tourne en rond dans son bocal, persuadé que l’océan se limite à sa vision.

J’ai longtemps cru que ma vie était tracée d’avance.

Études, travail, carrière, retraite…

Sans m’en rendre compte, j’ai intégré une somme de croyances limitantes comme celles disant qu’il faut être raisonnable, que la sécurité prime avant tout ou qu’il ne sert à rien de prendre des risques inutiles.

J’ai reproduit certains schémas de mes parents, de mes amis, de mon entourage.

Par mimétisme, par facilité, par peur d’être rejeté.

La science explique que notre cerveau crée des autoroutes neuronales.

Plus nous empruntons un chemin de pensée, plus il devient facile à suivre.

Il m’a fallu du temps pour réaliser que mes relations amoureuses reproduisaient les mécanismes dysfonctionnels observés durant mon enfance.

Mes passe-temps étaient ceux de mon cercle d’amis, pas nécessairement les miens.

J’étais un mouton qui suivait le troupeau, pourtant convaincu d’être un loup solitaire.

95% de nos décisions sont prises par notre inconscient.

Ce n’est pas un hasard si nous répétons les mêmes erreurs, si nous sommes attirés par les mêmes profils toxiques, et si nous sabordons nos chances de réussite au dernier moment.

Notre inconscient suit sa propre logique.

Il se base sur la somme de nos expériences passées.

C’est un gardien zélé, mais mal informé.

Ce confort mental est notre prison.

La routine est notre geôlier et nos habitudes deviennent des chaînes.

La physique quantique nous enseigne que l’univers est fait de possibilités et que notre réalité n’est qu’une version parmi une infinité d’autres.

En restant figés dans nos schémas, nous nous empêchons d’évoluer.

Nous fermons des portes avant même de savoir où elles mènent.

Alors, chaque prise de conscience, même infime, est une victoire.

Redéfinir sa liberté

La télévision nous vend du rêve.

Un nouveau smartphone, la voiture dernier cri, une villa idyllique avec piscine.

C’est aussi le retour des marronniers à chaque période de vacances scolaires.

Je repense à ce documentaire sur l’histoire d’un homme d’affaires à La Défense qui a tout abandonné pour élever des chèvres dans le Larzac.

Les médias te montrent une vie qui paraît plus épanouissante que la tienne.

J’ai éprouvé un immense sentiment de vide il y a quelques années, lorsque je me sentais emprisonné dans les murs d’une salle de rédaction.

Je travaillais dans un journal local en Champagne.

Pendant longtemps, j’ai cru que la liberté était dans les médias.

Puis dans l’entrepreneuriat…

Et finalement, dans l’univers de l’art.

Un jour, ma thérapeute m’a dit que la liberté se trouvait à l’intérieur de nous.

Une réflexion qui m’a semblé aussi creuse que tous ces mantras qu’on peut lire dans les ouvrages de développement personnel.

La question n’est pas de savoir comment fuir sa vie.

Ce n’est pas une affaire de lieu géographique ou de statut professionnel.

C’est une question de perception.

Par exemple, il existe deux façons d’appréhender Paris quand on y vit.

Je peux me plaindre d’une ville sale, polluée, chère et stressante ou me réjouir de travailler dans l’un des centres culturels les plus vibrants du monde.

L’endroit demeure inchangé, mais mon regard, lui, a évolué.

Cette prise de conscience a représenté pour moi l’image d’un oiseau libéré de sa cage.

Les barreaux n’étaient pas réels, ils étaient dans ma tête.

Nous confondons souvent quête de liberté et gratitude.

La première pousse à rechercher ce qui nous manque.

La seconde valorise ce que nous possédons déjà.

La véritable liberté commence lorsqu’on cesse de croire qu’elle se trouve ailleurs.

Elle émerge quand on réalise qu’on peut créer ses propres espaces ici et maintenant.

Dans nos décisions, nos relations, nos réflexions.

Reprenons l’exemple du banquier qui élève ses chèvres dans le Larzac…

Les chèvres nécessitent d’être nourries quotidiennement, indépendamment des conditions météorologiques.

La liberté n’est pas dans l’absence de contraintes…

Elle est dans le fait de choisir celles avec lesquelles tu es prêt à vivre.

Il y a quelques semaines, j’ai fait la connaissance d’une jeune sculptrice de métal qui habite dans une petite maison à Montreuil.

Elle conçoit des figurines remarquables dans son atelier.

Bien que ses revenus soient inférieurs aux miens, elle dégage une sérénité que j’envie.

Elle fait ce qu’elle aime, entourée de personnes qui la soutiennent.

En somme, la liberté est une pratique quotidienne.

Bien plus qu’un mot

L’autre jour, un ami m’a demandé : « Tu te considères artiste ? »
J’ai marqué une pause tant la question était surprenante.

Au lieu de répondre par un simple oui ou non, j’ai contourné le sujet en évoquant la création de contenu.

Jamais le terme « artiste » n’était sorti de ma bouche.

Ce mot de sept lettres est intimidant.

Je rédige une newsletter, j’enregistre des podcasts ou filme des vidéos.

Je triture les mots, les images et les sons.

Si ce n’est pas de l’art, alors qu’est-ce que c’est ?
J’ai observé comment se définissent les gens qui m’entourent.

La plupart du temps, aucun n’assume l’étiquette d’artiste.

Le guitariste se présente comme musicien.

L’écrivain se dit auteur.

Le cinéaste est un réalisateur.

Le dessinateur se cache derrière l’appellation d’illustrateur.

Ce titre semble réservé aux membres d’un petit club très fermé.

Van Gogh n’aurait vendu qu’un seul tableau de son vivant.

Kafka aurait demandé que ses manuscrits soient brûlés après sa mort.

La souffrance semble être le prix à payer pour accéder au Saint Graal.

Une vision obsolète.

Aujourd’hui, l’art peut être digital, éphémère ou collaboratif.

Il peut se diffuser sur Instagram ou TikTok.

Mais au fond, qu’est-ce qu’un artiste ?
C’est quelqu’un qui transforme sa vision en un moyen d’expression qui touche les autres.

C’est une personne qui traduit en mots, en sons ou en images ce que nous ressentons, sans pouvoir être en mesure de l’exprimer.

Il est celui qui perce le bruit ambiant pour faire entendre sa propre voix.

Être artiste, ce n’est pas seulement une question de talent ou de vision…
C’est aussi une affaire d’audace.

Quand plus tard ne vient jamais

Un matin, tu te réveilles avec l’idée qui te hante depuis des jours.

Tu la dessines, l’écris, la composes.

Tu ignores les messages de tes proches.

Ce n’est pas grave, tu répondras plus tard.

Sauf que ce « plus tard » n’arrive jamais.

La frontière entre espace professionnel et privé s’estompe.

J’ai éprouvé cette sensation la première fois que j’ai lancé mon blog.

Le moindre élément du quotidien est devenu matière à créer.

Cette conversation banale avec un inconnu dans le métro ? Un futur article.

Ce magnifique coucher de soleil ? Une photo parfaite pour mon compte Instagram.

Cette dispute avec un ami ? Un potentiel épisode de podcast.

Mon existence s’est transformée en un immense réservoir d’idées.

Je suis semblable à ces chercheurs d’or voyant des pépites partout, incapable de vivre dans l’instant.

Mon défi n’est pas l’inspiration, c’est mon incapacité à être présent.

Comment être véritablement là quand mon esprit catalogue l’expérience comme un futur contenu ?
Le philosophe Martin Buber affirmait que « toute vie véritable est rencontre ».

Mais quelle rencontre authentique est possible, quand tout ce que j’observe n’est qu’un matériau brut à transformer ?
On célèbre la passion dévorante qui pousse à se lever à 5h du matin pour créer.

On admire l’artiste qui sacrifie tout sur l’autel de sa vision.

Mais à quel prix ?
Personne n’évoque la culpabilité qui s’installe lorsque je m’accorde un jour de repos.

Cette voix intérieure me murmure : « Pendant que tu te prélasses, d’autres créent, progressent, te dépassent ».

Je me persuade que vivre sans produire est une insulte à mon talent.

Mon espace de vie se métamorphose peu à peu.

D’abord, c’est juste un coin bureau qui déborde légèrement.

Puis, les lumières, les caméras, micros et livres envahissent mon petit logement.

Mon lit est devenu l’extension d’un plateau télé.

Mes limites physiques entre travail et repos s’effacent, tout comme mes frontières mentales.

Un ancien collègue m’a récemment confié qu’il ne regardait plus les films comme avant.

Il décortique chaque plan, il analyse les transitions, il critique le montage.

Son œil professionnel a dévoré le regard innocent.

Voilà le signe de cette fusion dangereuse : quand tu ne peux plus apprécier l’art des autres sans le filtre de ton métier.

L’épuisement n’est pas qu’une métaphore.

C’est une tension dans les épaules qui ne disparaît jamais vraiment.

C’est ce sommeil fragmenté, peuplé de listes de tâches et d’idées à ne pas oublier.

C’est cette irritabilité qui surgit quand quelqu’un interrompt mon flux créatif.

Mon corps tente de s’exprimer, mais qui l’écoute ?
L’ironie, c’est que cette fusion totale finit par anéantir ce qu’elle prétend servir : ma créativité.

L’art se nourrit de l’expérience humaine et de contemplations oisives.

Il émerge dans ces moments où l’esprit vagabonde.

Sans espace pour respirer, l’imagination suffoque.

Mais si demain je ne pouvais plus créer, que resterait-il de moi ?

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Jason Vallée

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